NANTES HISTOIRE
Le contexte nantais dans les années 1980 et la démarche de création de Nantes-Histoire
En 1987, Alain Croix et Robert Durand, historiens universitaires, expliquent leur initiative par le décalage qu’ils constatent entre «le très vif intérêt pour l’histoire et les lacunes spécifiques que présentent en ce domaine notre ville et notre région». Cette présence restreinte de l’histoire dans l’offre culturelle locale s’accompagne, entre autres, d’une occultation partielle du passé de la ville concernant la mémoire de la traite des Noirs.
La démarche de création de Nantes-Histoire est aussi motivée par une réaction face à « l’affaire Roques », la soutenance en juin 1985 à l’Université de Nantes d’une thèse mettant en doute l’extermination des juifs dans les chambres à gaz. Cette complaisance à l’égard de thèses négationnistes suscite le scandale à l’échelle nationale et met l’université de Nantes sous le choc. 77 universitaires dénoncent alors dans une pétition le préjudice porté par cette soutenance à la réputation scientifique de l’université.
C’est dans ce contexte qu’Alain Croix et Robert Durand proposent de créer l’association Nantes-Histoire pour «travailler entre historiens, de métier ou non, adhérant aux principes démocratiques entendus largement». Leur appel s’appuie sur deux expériences, que tous deux mènent parallèlement dans deux associations de l’agglomération nantaise, et qui aboutissent à des publications : Du Village à la Ville : Doulon de la Révolution à la fin du 19ème siècle en 1985, et Du village à la cité jardin Saint Sébastien sur Loire depuis ses origines en 1986.
Les deux associations de Doulon et Saint Sébastien organisent en mai 1987 des «Rencontres d’histoire locale» et en 1989 est publié un Guide de l’histoire locale.
Les réunions fondatrices de Nantes-Histoire se tiennent au printemps 1987 et aboutissent à la création de l’association la même année.
Activités et évolution
Cette création coïncide avec la préparation du bicentenaire de 1789 qui mobilise activement l’association : elle participe en particulier, avec le Comité Liberté Egalité Fraternité 89, à l’édition des Cahiers de doléances du tiers-état des communes de Loire-Atlantique. Elle décide aussi d’organiser un cours public sur la Révolution française.
Forte de cette première expérience, Nantes-Histoire va proposer chaque année une série de conférences autour d’un thème, souvent lié aux interrogations du présent.
Par la mise en perspective proposée et les débats qui les prolongent, les cours cherchent à enrichir les questionnements contemporains et ils s’adressent à tout public intéressé par l’histoire.
Parmi les thèmes abordés au cours de ces plus de trente années de cours publics, que seule la crise de la Covid a provisoirement interrompus en 2020-2021, on retrouve bien sûr l’histoire de Nantes et de sa région (en particulier dans la période révolutionnaire), des réflexions sur la mémoire et la capacité d’une ville à regarder son passé en face (notamment, mais pas exclusivement, la traite négrière).
Par ailleurs ont été traitées de grandes questions à dimension nationale, internationale, universelle, telles que migrations, laïcité, révoltes…
Il faut mentionner aussi des interrogations sur « les oubliés de l’histoire », sur les mythes historiques, sur la part de l’irrationnel dans nos rapports au passé comme au présent.
Le souci, particulièrement prégnant ces dernières années, a été d’ouvrir l’histoire sur le grand large, de sortir, par exemple avec l’histoire de la Chine ou de l’Afrique, des visions européo-centrées.
Mais quels que soient les sujets, l’effort d’élargir et de décentrer les regards a été maintenu, pour inciter à la réflexion, mettre en évidence la profondeur du temps, la diversité des cas de figure, et conjointement celle des analyses. Cette réflexion sur la façon de faire et d’écrire l’histoire a fait l’objet du dernier ouvrage publié par l’association en 2020, Trente ans d’histoire partagée (Editions Coiffard).
Cette activité éditoriale a été un des points importants de la vie de l’association avec la publication de plusieurs volumes. Certains de ces ouvrages sont le reflet et le résultat du travail d’ateliers, oeuvrant sur plusieurs années, et qui ont permis à une centaine de personnes de se former à la fabrique de l’histoire. Les trois premiers thèmes se sont inscrits dans la perspective du bicentenaire de 1793. Ont suivi l’étude de l’immigration bretonne du 19ème et 20ème siècle puis une histoire des étrangers à Nantes, au moment où les thèmes de l’immigration et de l’identité occupaient les média. Ces divers thèmes de recherches ont aussi abouti à des expositions : ainsi, en 2012, l’étude «Des Nantaises au travail du 18ème siècle à nos jours» a été présentée au Musée d’histoire de Nantes.
Cette activité éditoriale doit se poursuivre, en partenariat avec de nouvelles initiatives, comme celle de la collection « Cette année-là à Nantes ».
D’autres initiatives ont alimenté la vie de l’association :
-des forums d’histoire citoyenne, de 2005 à 2012, ont permis à des groupes de quelques dizaines de personnes, d’approfondir des thèmes qui nourrissent la réflexion du citoyen.
-des rallyes et des sorties ont fait découvrir des lieux et des thèmes souvent inconnus du public non spécialisé : en 2011 «Les tombes de mémoire de la Révolution» dans le secteur de Chateaubriant ; en 2017 une balade dans les pas de Julien Gracq autour du livre cher au cœur des Nantais, La Forme d’une Ville.
Au cours de cette évolution, et tout particulièrement ces dernières années, l’association s’est préoccupée de rechercher des partenariats et des collaborations tant avec les centres d’archives, les musées, les associations travaillant sur la mémoire, qu’avec l’Université.
Un nombre de plus en plus important d’enseignants-chercheurs s’investissent dans l’association et on constate aussi la participation active d’étudiants, prêts à prendre des responsabilités au sein du conseil d’administration, à animer des débats, à susciter des initiatives.
L’Université Permanente, avec tout son rayonnement, est devenue un partenaire essentiel : une convention a été signée permettant l’échange des publics ; des manifestations culturelles peuvent être organisées conjointement : par exemple, le 12 février 2018, a eu lieu, en partenariat aussi avec l’Académie du jazz de l’Ouest, une conférence-concert sur « 100 ans de jazz à Nantes ».
Le partenariat développé avec le château des Ducs ainsi qu’avec le Grand T a permis l’organisation du festival « Nous Autres », centré sur l’idée de « faire l’histoire autrement » : la dernière édition a été consacrée aux « hommes-monde » (du 14 juin au 16 juin 2019).
Un partenariat, actuellement noué avec le musée d’Arts, autour du thème « Peindre l’histoire », prévoit la présentation au public, par des animateurs de Nantes-Histoire, de la dimension historique d’un certain nombre de tableaux du musée.
Cette évolution et ces activités attestent de l’engagement citoyen de l’Association Nantes-Histoire, qui ne s’est pas démenti depuis ses origines.
Le contexte des rapports de la ville de Nantes à son histoire est désormais bien différent de celui du début des années 1980. Les initiatives, tant des élus que des associations militantes, ont permis de regarder en face le passé esclavagiste et d’en tirer des enseignements au service des valeurs universelles, avec en particulier, une vigilance accrue à l’égard des crimes contre l’humanité. L’exposition baptisée « les Anneaux de la Mémoire », puis l’association éponyme qui œuvre pour poursuivre et étendre ce travail de mémoire, la réalisation du Mémorial de l’esclavage, sont quelques-unes des réalisations dans la cité qui ont pu être jugées comme exemplaires. A sa manière d’association généraliste prenant en compte l’ensemble des questions historiques, Nantes-Histoire a été partie prenante de cette démarche et a pu contribuer, en suscitant réactions et débats, à cet effort de mémoire historique et citoyenne. Ces efforts doivent perpétuellement se poursuivre et se renouveler.
Nantes-Histoire repose entièrement sur le travail des bénévoles qui la font vivre. Elle a la chance de pouvoir s’appuyer sur de nombreux adhérents… et leurs cotisations. Elle a aussi la chance d’accueillir des conférenciers de renom, qui acceptent de venir bénévolement échanger leurs connaissances avec les auditeurs de Nantes-Histoire.